La procrastination, l'art de tout remettre au lendemain
La procrastination, on connaît tous : remettre une tâche au lendemain, l’ignorer en la remplaçant par une autre, attendre la dernière minute pour s’y atteler. Bien que ce comportement soit relativement commun, il est malgré tout le sujet de nombreuses études et d’articles de presse. En effet, la procrastination prendrait une place alarmante dans notre société. Ses conséquences peuvent troubler votre bien-être et votre capacité à entreprendre. Alors que disent les spécialistes sur le sujet ? Comment y remédier ? Voici quelques pistes pour en savoir plus sur ce phénomène.
La procrastination, nouveau mal du siècle ?
Pour commencer, le mot “procrastiner” vient du latin, “pro” (“en avant”) et “crastinus” (“demain”). Ce qui signifie approximativement “pour demain”. Procrastiner c’est donc remettre à plus tard, reporter, retarder une tâche.
La procrastination est un comportement humain propre à notre espèce. Le cerveau Homo Sapiens cherche constamment à se nourrir de plaisir immédiat et de gratification instantanée. Faire face à une tâche longue et difficile est souvent le dernier recours. Pas de grande surprise de ce côté-là. Emprunter le circuit de la facilité a toujours réussi à l'Homme. La procrastination se divise entre deux catégories : la procrastination occasionnelle, - nous l’avons tous déjà fait - et la procrastination chronique. C’est celle-ci qui peut poser problème. D’après certains chiffres, la procrastination chronique concernerait au moins 20% de la population.
La procrastination est elle une maladie ?
Ce phénomène n’est pas une maladie et serait particulièrement présent chez les jeunes (50%). Certaines études scientifiques tendent à démontrer la chose suivante. Il existe une explication relativement simple. Avant 25 ans, le cerveau n’est pas totalement développé. Ainsi, le lobe préfrontal qui dirige les prises de décision et la planification est encore en formation. La mauvaise nouvelle, c’est que plus on procrastine, plus il est difficile de se débarrasser de cette mauvaise habitude. En conclusion, même si le cerveau est pleinement formé, la procrastination peut vous suivre encore un long moment.
La technologie au service de la procrastination
La technologie ne rend pas service aux personnes qui souhaitent remédier à la procrastination. Les réseaux sociaux, par exemple, sont conçus pour booster et faciliter la sécrétion de dopamine à chaque utilisation. Liker, scroller, regarder des vidéos au format très court… Ça rend -littéralement- addict. D’autres distractions comme les services de streaming, l’hyperconsommation ou les jeux vidéo sont également des appels à la procrastination. La stimulation et la satisfaction sont immédiates. Cet accès à cette instantanéité prend la forme d’une récompense facile et rapide. Ces activités ultra chronophages nous bloquent et nous empêchent de passer à l’action pour effectuer des tâches moins agréables mais nécessaires au quotidien.
En fait, d’après Piers Steel, auteur du livre "Procrastination: Pourquoi remet-on à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui ?", les tâches qui favorisent la procrastination sont celles qui impliquent peu d’autonomie, qui possèdent très peu de sens pour la personne (comme l’administration n’est-ce pas ?) et qui celles qui sont particulièrement ennuyeuses et/ou répétitives.
La procrastination du point de vue de la psychologie
En psychologie, les experts évoquent la procrastination comme un “échec d’autorégulation des émotions”, c’est-à-dire une incapacité ou difficulté à gérer ses émotions. Ce problème de régulation est provoqué par le choix à faire entre une tâche contraignante sans satisfaction immédiate et une action plus agréable induisant une sécrétion importante de dopamine. Ce manque de régulation émotionnelle est également caractéristique de certains troubles de l’humeur (dépression, les troubles bipolaires) ou du trouble du déficit de l’attention. Les personnes qui y sont déjà sujettes sont ainsi plus enclines à la procrastination.
Procrastination ne rime pas avec fainéantise !
Il est important de bien distinguer la fainéantise et la procrastination. Quelqu’un qui procrastine n’est pas paresseux ou mal organisé. D’ailleurs, la procrastination peut se traduire par un élan d’activités multipliées par le sujet afin d’éviter de réaliser la tâche qui lui incombe. La procrastination chronique peut être particulièrement usante car elle est toujours accompagnée d’autres états psychologiques complémentaires ou sous-jacents : la peur, la frustration, l’anxiété, la dépression.
Mais alors, pourquoi procrastine t-on ?
Les raisons profondes de la procrastination sont généralement inconscientes. Certaines études mentionnent la peur du regard des autres, la peur de l’échec ou encore une faible estime de soi. Il est même dit que la procrastination se maquille parfois en perfectionnisme.
Nic Voge, directeur associé principal du Centre d'enseignement et d'apprentissage McGraw de l'Université Princeton, a une autre théorie. La procrastination serait une stratégie d’autoprotection. Si une tâche est mal effectuée, la procrastination serait la seule responsable, pas les compétences ou les qualités de la personne concernée. Dans ce cercle infernal, l’immobilisme provoqué par la procrastination renforce la faible estime de soi alors que passer à l’action la renforce. Aussi, la procrastination favorise les biais cognitifs, une distorsion de la pensée logique. Ce comportement est ainsi justifié car :
“Je travaille plus facilement dans l’urgence.”
“J’ai encore largement le temps pour effectuer ceci.”
“Ce n’est pas le bon timing.”
“Je ne suis pas dans le bon état d’esprit, j’y reviendrai plus tard.”
Ces exemples de phrases sont des fausses croyances formées par l’esprit. Une sorte de tactique pour ne pas prendre conscience de sa propre procrastination.
La procrastination vue par la science
Côté cerveau, la responsable de la procrastination est l’amygdale cérébrale. Cette partie du cerveau en forme d’amande est située à côté de l’hippocampe, dans le système limbique. Le complexe amygdalien joue un rôle important dans l’appréciation des émotions et la prise de décision. Une étude parue dans la revue Psychological Science a démontré que la taille de l’amygdale varie selon que les sujets soient des procrastinateurs ou non. Elle serait beaucoup plus grande chez les procrastinateurs.
Par ailleurs, cette même étude semble démontrer que chez les procrastinateurs, la connexion entre l’amygdale cérébrale et le cortex cingulaire antérieur dorsal est plus difficile. Or, c’est cette même connexion qui permet à l’amygdale de recueillir les informations nécessaires pour mettre les actions en œuvre ou non. Grosso modo, c’est notre cerveau qui détermine si la tâche vaut ou non le coup.
Cérébralement parlant, la procrastination peut aussi être résumé par une lutte entre le système limbique, le centre du plaisir et le cortex préfrontal, la partie du cerveau responsable de la planification et de la prise de décision.
Quelles solutions mettre en place pour ne plus procrastiner ?
La procrastination n’a rien de grave en soi. Elle pourrait même s’apparenter à une philosophie de l'oisiveté, de la lenteur. Une sorte “Carpe diem, quam minimum credula postero” : “cueille le jour sans te soucier du lendemain”.
Ce qui pose véritablement problème, c’est que ce comportement n’est pas en adéquation avec le Monde Moderne. L’heure est à la croissance et la productivité. Comme le disent nos voisins québécois : “Pas le temps de niaiser”. Pourtant la procrastination est inscrite profondément en nous, depuis l’Aube de l’Humanité. A vrai dire, le plaisir est le propre de l’Homme. La procrastination soulève un véritable paradoxe, une dissonance cognitive, qui peut parfois nous mener la vie dure. Parce que oui, procrastiner à l’extrême peut nous faire vivre dans l’urgence et le stress afin de suivre un rythme imposé par la société.
Pour faciliter son quotidien, il faut commencer par accepter cette ambivalence. Procrastiner (de temps en temps) n’est pas si problématique que ça. C’est la chronicité qui peut être nocive. Heureusement, aucune fatalité ici ! Certaines stratégies peuvent être mises en place pour instaurer des habitudes plus saines.
Lorsque vous procrastiner, commencez par vous poser les bonnes questions. Cela stimulera votre bon sens :
- Identifiez la raison de votre procrastination : Que suis-je en train d’éviter en procrastinant ?
- Identifiez les outils qui facilitent la procrastination : Qu’est-ce qui me fait perdre mon temps ?
- Rappelez-vous l’importance de la tâche à réaliser : Pourquoi la tâche que j’essaie d’éviter est importante ?
Quelques astuces simples pour éviter de procrastiner
- Si la tâche est longue et pénible, découpez-là en plusieurs étapes pour faciliter sa réalisation.
- Mettez en place quelques rituels agréables qui vous aident à vous mettre en situation. Des petites habitudes saines qui vous aident à enclencher le mouvement : un thé, une séance d’étirement, préparer son lieu de travail…
- Laissez de côté les distractions comme les réseaux sociaux ou les notifications de téléphone. Vous pouvez par exemple vous imposer une limite de temps sur votre smartphone. Il est même possible de programmer sur votre téléphone des alertes pour vous inviter à décrocher de votre écran.
- Faites en sorte d’avoir une vision sur le long terme. Cela vous permet de vous accrocher à des objectifs et de prendre de la hauteur. La procrastination ne sera plus une option pour vous.
- Vous pouvez vous entourer de personnes motivées pour vous aider à passer à l’action et rester motiver. Cela fonctionne pour le sport, le travail, l’administration… La synergie de groupe possède des vertus incroyables !
- Planifiez-vous des petites récompenses pour vous motiver. Vous pouvez vous promettre un moment de répit seulement une fois la tâche accomplie.
- L’éternelle to-do list : sous forme de notes sur votre téléphone ou sous forme de post, il n’y a rien de plus satisfaisant que cocher ou rayer ce qui a été fait !
- Laissez de la place au jeu. Vous pouvez vous lancer des défis en mettant en place un timer. Aucune envie de rédiger votre rapport ? Lancez un chrono d’une heure et promettez-vous de le finir sur ce temps-là. La récompense dont on parlait plus haut pourra ensuite suivre.
- Suivez cette règle d’or : “ce qui prend moins de 5 minutes à faire, je le fais tout de suite”.